Article N° 8140

PRIX DES MÉDICAMENTS

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Abderrahim Derraji - 30 juin 2025 09:57
Les réseaux sociaux se sont enflammés depuis que les représentants des pharmaciens ont tenu deux réunions avec l’administration au sujet d’un éventuel nouveau décret relatif à la fixation des prix des médicaments.. Les commentaires de certains représentants évoquent une publication imminente du texte. Selon ces mêmes sources, les pharmaciens devront une fois de plus se contenter de promesses, comme cela avait été le cas à la veille de la publication du Décret n° 2-13-852 du 14 Safar 1435 (18 décembre 2013), relatif aux conditions et modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés.La Confédération des syndicats des pharmaciens rejette toutefois la politique du fait accompli et conditionne la promulgation du nouveau texte à la mise en place de missions rémunérées[1].
 
Comme nous l’avons souligné à maintes reprises, les revenus du pharmacien sont étroitement liés aux marges et forfaits perçus à chaque dispensation. Toute érosion, même minime, de son chiffre d’affaires impacte directement et négativement ses revenus.
 
Pour désensibiliser ces revenus par rapport au prix des médicaments, il devient impératif d’instaurer des mécanismes déjà adoptés dans plusieurs pays du benchmark.
 
À titre d’exemple, en France, le pharmacien bénéficie de cinq tranches de marges dégressives, ainsi que d’honoraires : pour la délivrance à l’ordonnance, le conditionnement, les ordonnances complexes, les médicaments spécifiques, ou encore pour les patients de moins de 3 ans et de plus de 70 ans. Il perçoit également des indemnités pour l’accompagnement des patients sous AVK, asthmatiques, polymédiqués ou sous traitement anticancéreux, ainsi que pour les femmes enceintes. À cela s’ajoutent des rémunérations pour la vaccination, le dépistage, ou encore la dispensation des masques. Les pharmaciens touchent également des honoraires de garde et des indemnités d’astreinte pour les gardes de nuit, du dimanche et des jours fériés.
Les caisses leur versent en outre des paiements à la performance, liés à l’atteinte d’objectifs préalablement définis par voie conventionnelle.
 
Et malgré l’ensemble de ces mécanismes de compensation, certains pharmaciens en France rencontrent d’énormes difficultés et ne sont pas au bout de leurs peines. Le ministre de la Santé français a annoncé, le vendredi 20 juin 2025, des mesures visant à réduire le plafond des remises sur les médicaments génériques, le faisant passer de 40 % à 20-25 %. Ce plafond devrait également s’appliquer aux médicaments hybrides, tandis que celui des biosimilaires serait fixé à 15 %.
 
Par un communiqué, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) a dénoncé une décision jugée inacceptable : les 600 millions d’euros visés représentent, selon cette instance, une ressource vitale au bon fonctionnement du réseau officinal. Cette mesure risquerait de provoquer une vague de licenciements dans les officines, ainsi qu’une pénurie de médicaments pour les patients.
 
Les pharmaciens ont d’autant plus été surpris que le gouvernement semblait, ces derniers mois, manifester une volonté de soutenir les officines en difficulté, de renforcer l’économie du médicament générique et d’améliorer l’accès aux soins.
 
Dans son communiqué, l’UNPF estime que le gouvernement se trompe une fois encore de cible, fragilisant davantage l’économie officinale, alors que le pharmacien demeure un acteur central des soins de premier recours — souvent le dernier professionnel de santé présent dans certains territoires.

Face à cette situation, l’UNPF appelle l’ensemble des pharmaciens à une grève illimitée des gardes à compter du 1er juillet, et les exhorte à une mobilisation générale, massive et unitaire aux côtés des autres professionnels de santé.
 
Elle conclut son communiqué par cette phrase : «Une seule issue possible : le retrait pur et simple de cette mesure.»
 
L’exemple français illustre que, même avec la mise en place d’un système d’honoraires et d’indemnités pour compenser les baisses de prix des médicaments — et sachant que le chiffre d’affaires moyen d’une pharmacie française est au moins dix fois supérieur à celui d’une pharmacie marocaine —, aucune décision ne peut faire l’économie d’une mûre réflexion.
Le risque serait de voir un nombre croissant de pharmacies mettre la clé sous la porte, privant de nombreuses régions de l’accès aux médicaments.
Et comme l’a indiqué le président de la FMIIP le vendredi 27 juin, lors du CINIT 25, une révision précipitée et indifférenciée des prix des médicaments risque d’entraîner davantage de ruptures, un désinvestissement et une fragilisation des grossistes-répartiteurs.
 
La balance commerciale risque d’en pâtir, et il en est de même pour la souveraineté sanitaire, pourtant louée par tous les intervenants.
 
Cela n’est pas sans nous rappeler l’adage populaire marocain : «En voulant embrasser son poussin, la cigogne lui a crevé un œil!»
 
[1] Communiqué de la CSPM du 23 juin 2025
[2] Fédération Marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques. 

Source : PharmaNEWS